" Le territoire de cette commune est sillonné de collines recouvertes seulement d'un peu de bruyères ou d'ajoncs, mais les vallons y sont d'unegrande fertilité. La partie sud et quelques endroits au nord sont parfaitement boisés ".
(Benjamin Jollivet, Les Côtes-du-Nord, histoire et géographie de toutes les villes et communes du département. Guingamp : B. Jollivet, 1854, 4).
1- Pleumeur-Bodou : principaux repères :
Pleumeur-Bodou, Pleuveur-Bodou en breton, est une commune littorale du département des Côtes-d'Armor située au coeur de la Côte de Granite Rose, dans le Trégor occidental, à proximité de la ville de Lannion. Bordé par la Manche au nord et à l'ouest, ce territoire à dominante rurale d'une superficie totale de 2 672 hectares est limitrophe des communes de Trégastel et de Perros-Guirec au nord-est, de Lannion au sud-est et de Trébeurden au sud-ouest. Le sous-sol est entièrement constitué de granite.
Plusieurs vestiges archéologiques érigés au Néolithique (vers 7 000 - 2 000 av. J.-C.), à l'instar des menhirs christianisés de Saint-Uzec [fig. 20] et de Saint-Samson [fig. 21], des allées couvertes de Keryvon [fig. 22] et de l'Ile-Grande [fig. 23, 24], tout comme les traces matérielles d'ateliers de bouilleurs de sel de l'Age du Fer mises au jour à Landrellec et sur l'Île d'Enez-Vihan, attestent l'ancienneté de l'implantation humaine sur cette partie du littoral costarmoricain.
Pleumeur-Bodou est une ancienne paroisse bretonne primitive démembrée au 12ème siècle. Son territoire originel qui occupait une vaste presqu'île de près de 10 000 hectares englobait les communes de Trégastel, Trébeurden, Perros-Guirec, Saint-Quay-Perros et Servel, ainsi qu'une partie de Brélévenez et de Lannion. Paroisse du diocèse de Tréguier, attestée comme telle dès 1330, à l'occasion du procès de canonisation de saint Yves, sous la forme Plebs Magna Podou, son nom est formé avec le vieux-breton Ploe, "paroisse", et l'adjectif meur, "grand", rappelant ainsi l'étendue de son territoire initial. C'est avant 1330 que fut adjoint, selon Bernard Tanguy, l'anthroponyme Podou.
Erigée en commune le 22 février 1790, Pleumeur-Bodou a vu se créer sur son territoire la paroisse de l'Ile-Grande le 12 décembre 1923. L'Ile-Grande, traduction littérale du breton Enez Veur, était une possession de l'abbaye de Redon placée sous le vocable de saint Sauveur avant d'être disputée par les moines cisterciens de Bégard, également possessionnés dans les frairies de Kerénoc, de Kergadiou et du Bourg.
Cette commune, jusqu'alors marquée par la prédominance des pratiques agricoles et par l'exploitation des carrières de granite de l'Ile-Grande, a accueilli à partir des années 1960 le siège d'une station de télécommunication spatiale inaugurée par le général de Gaulle le 19 octobre 1962. Le C.N.E.T. - Centre National d'Etude des Télécommunications - y a implanté à partir du mois d'octobre 1961 sa première antenne, le Radôme [fig. 2, 8], ayant permis le 11 juillet 1962, par l'intermédiaire du satellite Telstar, la réception d'un signal de télévision intercontinentale provenant de la station d'Andover aux USA.
2- Pleumeur-Bodou : le patrimoine architectural : (Patrick Pichouron)
La présente enquête, réalisée au cours des mois de septembre, octobre et novembre de l'année 2005, intègre les résultats d'une enquête conduite en 1999-2000 par Elisabeth Justome dans le cadre d'une étude thématique de l'architecture de la villégiature balnéaire de la Côte de Granite Rose (Perros-Guirec ; Pleumeur-Bodou ; Trébeurden ; Trégastel).
Les deux enquêtes ont permis de procéder au repérage de 336 oeuvres, parmi lesquelles 283 relèvent de l'architecture domestique et agricole, 30 de l'architecture religieuse, commémorative et funéraire, 8 de l'architecture du génie civil, 6 de l'architecture des équipements publiques, 4 de l'architecture commerciale, 3 de l'architecture artisanale et industrielle et 1 de l'architecture hospitalière, d'assistance et de protection sociale.
La chronologie des oeuvres repérées est comprise entre le Moyen Age, probablement le haut Moyen-Age pour une catégorie de croix monolithes à branches courtes, et le 3ème quart du 20ème siècle. Si le corpus inclut un nombre important d'oeuvres édifiées au cours de la période moderne (16ème-18ème siècles), il se caractérise par une forte proportion d'oeuvres datant de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle.
42 oeuvres, dont les oeuvres protégées au titre de la législation sur les monuments historiques [fig. 20-21, 24, 26-28, 30], ont fait l'objet d'une proposition de sélection en fonction de critères d'ancienneté, de qualités architecturales, d'unicité ou de représentativité.
2- Pleumeur-Bodou : le patrimoine rural et maritime : (Guy Prigent)
En 1792, la commune de Pleumeur-Bodou était la commune le plus vaste et la plus peuplée du canton de Perros-Guirec (2036 habitants). En 1821, la commune compte 123 écarts et couvre 2072 hectares. L'Île Grande comptabilise 150 habitants au 1er quart du 19ème siècle.
Si en 1861, la population de la commune de Pleumeur-Bodou comprend 29 carriers, autant de cultivateurs, 14 douaniers et 11 marins (registres municipaux), l'émigration commence au début du 20ème siècle avec le départ des marins vers les nouvelles compagnies de navigation (la Cie Transatlantique et les Chargeurs Réunis) et leurs ports d'attache (Le Havre).
Cependant, en 1911, la population de l'Île Grande représente encore 28% de la population communale. En 1921, la population de la commune est de 2945 habitants, en 1926 : 3037 habitants, en 1931 : 2752 habitants, en 1936 : 2766 habitants. En 1936, la population de l'Île Grande représente encore 1/3 de la population totale grâce aux granitiers.
De l'agriculture littorale à l'activité des carrières :
Depuis le 15ème siècle, le Trégor littoral constitue un important pôle de cultures industrielles avec le chanvre et surtout le lin, qui bénéficie pour sa culture un sol enrichi par les engrais marins. La "première révolution agricole" se caractérise par l'introduction de "cultures nouvelles" adaptées aux conditions locales. A Pleumeur-Bodou, alors que le trèfle ne couvre que 46 ha en 1859, il en occupera 255 ha moins d'un demi siècle plus tard, en remplaçant l'ancienne jachère pâturée et permettant l'enrichissement des terres en azote pour un meilleur rendement du blé. Entre les deux guerres, la culture du chanvre diminue considérablement, alors que le lin représentait encore 60 ha en 1938 sur la commune (production stable depuis 1859). Les terres cultivables se développent avec la culture de la pomme de terre, favorable aux petits exploitants sur de petites parcelles, culture nettoyante à la place du seigle. Cette culture, introduite par les Roscovites et les journaliers de Jersey, à la fin du 19ème siècle, se généralise dés 1907 (enquête agricole de 1907). L'élevage à base de plantes fourragères, devait profiter de cette nouvelle polyculture, et entraîner une agriculture littorale diversifiée. L'assolement devint de en plus complexe avec l'extension des terres cultivables. La récolte du goémon favorisait la rotation des cultures et l'engraissement des sols. Les goémoniers de Plouguerneau arrivaient en 1930 et restaient de mai à septembre travailler dans les îlots. trois familles se seraient même fixées sur place : Galliou, Boudot et Laurent (ancien four à goémon de l'Île d'Aval). Le rapport de Guyon en 1919 souligne l'importance du lichen à l'île-Grande et du sable coquillier sur les grèves de l'Île d'Aval et de Kerenoc. Cette "littoralité d'usages" est motivée par la forte demande des cultivateurs pour les amendements calcaires, les sables coquilliers ou "trez" et le goémon.
L'industrie des carrières se développe de la milieu du 19ème siècle jusqu'en 1930, favorisant aussi la rotation du commerce maritime des productions agricoles et des productions des carrières. Le maximum de la population de l'Île Grande (879 habitants vers 1907) coïncide avec la période de plein rendement des carrières. Ce qui fit écrire "Enès- veur, l'île des carriers" par Anatole Le Braz en 1912, lequel évoquait le nombre de 300 carriers (chiffre officiel de 95 carriers professionnels en 1906). Les drames de mer n'épargnèrent pas les équipages pleumeurois entre 1850 et 1914 : sur les 53 navires que possédaient les maîtres carriers de la commune, 19, soit 36% furent perdus "corps et biens".
"Dreizt mor ha douar", telle est ou était la devise des habitants de Pleumeur-Bodou : "Par delà de son terre et mer", avec cependant un renforcement de son identité sociale maritime, comme le montre l'évolution de la structure professionnelle, telle qu'on peut la reconstituer à partir des registres de mariages (1815-1839) et des listes électorales entre 1860 et 1914 (travaux de recherche de Yannick Lageat et Yvon Garlan).
De la pêche au commerce et au tourisme :
Si le nombre de marins-pêcheurs professionnels est limité selon les statistiques très relatives sous l'Ancien régime (à cause du système de l'enrôlement contraint des classes), le recensement de l'an VI (1798), ne relève que 6 marins et 2 voiliers pour l'ensemble de la commune. En 1810, la pêche côtière occupe seulement 12 bateaux et 37 hommes, en 1853, seul 13 bateaux pleumeurois sont inscrits sur le registre des rôles d'équipage. Mais en 1914, 340 marins sont enrôlés dans la marine marchande ou la marine nationale, chiffre qui ne cessera d'augmenter jusque la fin de la marine de commerce vers le 3ème quart du 20ème siècle, sans que la pêche soit en mesure de prendre la relève. A partir de cette seconde moitié du 20ème siècle, la "maritimité" de la commune (comme la plupart des communes littorales) va diminuer, pour de nouveaux usages de son littoral. Cependant, l'Île Grande bénéficie d'aménagements portuaires encore en activité à côté des modestes cales et quais aujourd'hui disparues : Port Saint-Sauveur et Port Gelen, pour la pêche et la plaisance, alors que Keralies, ancien havre de déchargement des borneurs, est resté en désuétude malgré les projets avortés.
Les traces de pêcherie et de sècherie sont nombreuses dans l'archipel de l'île Grande : ancienne sècherie à poisson sur Enez Erc'h, site de pêcherie autour de Morvil. Mais plus encore les anciens quais insulaires, utilisés par les carriers, témoignent d'un important trafic portuaire.
Les granites littoraux : histoire d'une économie littorale :
Les monuments mégalithiques nombreux sur le territoire de Pleumeur-Bodou, en particulier, l'Île-Grande, mais aussi de Trégastel et de Trébeurden, témoignent des débuts de l'exploitation du granite.
Les archives locales permettent de citer un certain Pierre Le Dret, fendeur de pierre, Pierre Aubry, lui-même tailleur de pierres à l'Île Grande et patron de la barque "l'Hirondelle", qui embarqua le 28 juillet 1792 le curé de Perros Le Lay et son vicaire au port de Toul an Héry et, avec l'aide de son fils Nicolas et de deux matelots de Trébeurden, les conduisit à l'abri de la Révolution à Jersey où ils restèrent sept années. Le maire de Pleumeur-Bodou s'inquiétait de voir de nombreux fendeurs de pierres occupés à enlever des rochers couverts journellement par la mer pour la seule raison "qu'ils produisent le meilleur goémon de la grève. Les anciens parlaient, d'avant 1830 de l'intérêt des Ponts et Chaussées qui avaient fait des "essais" et en avaient déduit que ce granite était, d'entre tous, le plus résistant.
En 1879, à Trébeurden, le maire décidait la construction de la maison d'école et les moellons devront être pris dans la commune sans pour cela être pris dans la grève. Les pierres de taille seront également prises soit dans la commune soit dans l'Île Grande pourvu que les dites pierres soient dans un endroit d'accès facile pour les charrettes. Et en 1887, Casimir Belloir louait les îlots que possédait la commune de Trébeurden entre Penvern et Trozoul pour 40 f par an pour le droit d'exploitation des pierres. Très vite, ce terrain communal fut entièrement occupé par des pierres de taille, restées depuis l'essai de construction de deux tourelles et les producteurs de goémon se plaignirent de faire sécher leur production.
Les demandes d'exploitation se multiplièrent, la production s'accéléra, ce qui eut pour conséquence le doublement de la population jusqu'alors de 434 habitants en 1865. La guerre de 1871 terminée, les ventes prévues avant son déclanchement reçurent un vais favorable du conseil municipal : Il s'agit de terrains improductifs et sous certaines conditions (alignement, non encombrement des voies de communication, prix d'expert, etc.), une carrière ne pourra être exploitée dans la butte de Guéradur, jusqu'à l'angle midi de piédestal de la maison de Joseph Le jeune. De plus en plus fréquentés par les carriers qui se rendent dans l'île, la commune plaça en priorité la réalisation du du chemin qui mène de Lannion à l'Île-Grande, passant par le village de Penvern par Pleumeur-Bodou plutôt que le chemin de Lannion à Trébeurden. Le Conseil général fut sollicité en 1889 pour voter les fonds nécessaires afin de terminer la route qui relie aujourd'hui encore l'Île Grande à la terre ferme. La location des îlots : l'Île aux Renards affermée en 1887, l'Île Agathon en 1888 et l'Île aux Corbeaux quelque temps plus tard, allaient apporter de nouvelles ressources à la commune.
L'exploitation à grande échelle des granites littoraux pouvait commencer.